samedi 17 août 2013

Le docteur qui?a mal perd la mémoire, ne fixe plus, se tient un peu à l'écart de ce qu'il est ou qu'il a été,
quelles étaient ses premières illusions? Il se pose souvent la question. Comment se voyait il dans ses premières années d'exercice, se projetant dans les 10, 20 ou 30 ans? Tout devient flou et l'essentiel pour lui, c'est malheureusement qu'il lui faut survivre, lutter contre le temps? contre lui même? contre l'inéluctable?

 Les jours qui filent et les patients qui lui filent entre les doigts, ceux qui meurent, ou ceux qui le quittent sans dire mots, il voudrait pouvoir se tenir au plus près de ce qu'il croit être le mieux, pour eux, pour lui? Mais il se retient chaque jour de ne pas en faire trop, il se motive le plus souvent pour ne pas trop baisser, ce qu'il appelle "sa garde", il avance à terrain découvert, terrain miné mais reste le plus souvent (à contre cœur) trop bien caché, trop bien à l'abri (pense t-il, il en aurait un peu honte...), de peur de recevoir cette foutue balle perdue, au mauvais endroit, au mauvais moment... Il se défend souvent de vouloir jouer les héros, à celui qui a tout vu, tout fait, tout compris, celui qui sait et qui a dit, et c'est pourtant l'essentiel de son boulot... Il se retient et tente de retenir ce qui peut l'être, encore et contre tout, comme au temps où, il était ce jeune naïf, avide qu'il était d'affronter ("effrontément...") ses propres certitudes, ses "folles" espérances, il aurait eu encore ce semblant de vérité, ou de fraicheur ? cette sorte de jeunesse avec la ferme volonté, inavouable mais déterminée, de vouloir tout confronter à une cette foutue réalité, "sa réalité", comme dirait la chanson... si proche, si lointaine, indomptable...

En fait il trop ou pas assez?? Est il sur le déclin? Sur ce versant de la vie où l'on prend peu à peu conscience du temps qui  reste, cette fameuse ligne de crête où tout va basculer, s'ouvrant à une nouvelle vie en forme de déjà vu, de déjà fait, sur le point d'emprunter cet autre chemin qui s'ouvre sur de nouveaux horizons, et abolissant au passage ce qui a déjà été accompli, l'accomplissement n'est pas un vain pour docteur qui?a mal, mais il est toujours dans cette sorte de retenue, qui convient si bien aux médecins, l'obligeant parfois à user, et abuser de certaines circonvolutions... la retenue est la première des vertus dans l'acquisition du savoir mais devient peu à peu si on en prend pas garde, le poids mort d'une certaine expérience, se débarrasser oublier se confronter au monde jusqu'à la négation de ce qui a été appris, su, prédigéré, l'oubli total et une sorte de désengagement qui vous conduit à cette sorte de nouvelle jeunesse retrouvée où chacun peut alors à sa façon se confronter à l’inanité et la grandeur des choses humaines...

Apprendre, réapprendre et désapprendre, s'oublier pour peu que l'on puisse alors retrouver en cet instant magique et merveilleux de la décision à prendre, cette sorte de recherche insensée qui vous conduit à retrouver cet équilibre sur cette trop fameuse ligne de crête, dans le basculement et le jaillissement qui suit votre jugement et vous conduit à adopter la bonne (le plus souvent, il faut l’espérer...) et (moins souvent, on l’espère aussi) la mauvaise attitude...

TOUT EST DANS CETTE SORTE DE CHEMINEMENT qui vous conduit à la décision et la bonne attitude à adopter, sur la base d'un savoir certes fragilisé par le temps qui passe, mais qui se renforce par l' expérience acquise peu à peu;  mais dont l'un ni l'autre, ne garantissent la justesse de notre jugement dans l'action qui peut rester malheureusement imparfait. La vérité ne se décrète pas, elle ne peut s'enfermer dans des conditions trop générales pour être acceptée par le plus grand nombre, on entend trop souvent: "l'exception confirme la règle" ou "nécessité fait lois"... La vérité se laisse voir, entrevoir, approcher,  par celui qui se décide d'avancer sur ses chemins de vie, au fil de rencontres singulières, parfois choisies mais le plus souvent imposées, que l'on veut riches de sens et porteuses de nouvelles interrogations ...

Le docteur qui?a mal oublie souvent, et s'oublie parfois dans sa façon d'exercer sa médecine; il se revoit et confronte l'enfant qu'il a été, à l'homme qu'il est devenu, il aspire à plus de repos, de temps libre, de rêves et d'espace (et de nouveaux espaces..)... Il a besoin de recul, de plus de distance, de solitude, de repli... Il voudrait parfois tout reprendre à zéro.. Recommencer mais la force n'est plus là et la mémoire lui fait de plus en plus défaut... Un de ses cauchemars les plus fréquents, c'est de se revoir en situation de repasser ses examens et concours... OUBLIS oubli, mémoire quand tu nous tient.. Tout est dans la retenue finalement, dans la façon de retenir, d'accumuler et de pouvoir libérer toute cette énergie accumulée au fil ce notre vie...On finit par comprendre que tout est dans l'échange, les entrées et les sorties, les flux et reflux, la façon de recevoir et de donner, nous ne sommes que de passage et les vecteurs d'une sorte d'instantanéité à l'échelle du temps. On peut AUSSI s'interroger sur ce qui s'échange se partage se donne, se vend et s'achète...

Sisyphe n'est pas mort, le docteur qui a?mal cherche souvent à remonter la pente, il cherche parfois à revenir sur ses pas, sorte de retour amont, voyage inversé, et retour aux origines, dans une tentative effrénée de retrouver du temps et du sens, il se détermine sur ce qu'il a déjà vu et connu, il analyse, interprète et cherche à redonner du sens à l'insensé, cette volonté de vivre et de poursuivre coute que coute ce chemin improbable, à contre courant de l'acquis et de l'inné, du déjà vu du déjà fait, du reste à faire, du reste à vivre, en tenant à distance le déjà fait, le déjà su et ce qu'il reste à conquérir...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire